Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/309

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gent l’œuvre d’art. Certes, leur succès n’est pas sérieux. L’enthousiasme d’une prestigieuse première n’est, la plupart du temps, qu’un événement insignifiant, et toutes ces pièces — titres, sujets et interprètes — s’effacent vite et s’ensevelissent les unes dans les autres. Mais en attendant, elles s’étalent pendant quelques soirs ; elles profitent, elles jouissent d’un triomphe effectif. Je voudrais qu’elles fussent tuées aussitôt sorties.

La chambre ruisselait des rayons de la lune qui traversaient la fenêtre comme l’espace. Dans le magnifique décor, il y avait un groupe obscur et blanc : deux êtres silencieux avec leurs figures de marbre.

Le feu était éteint. À bout de travail, l’horloge s’était tue, elle écoutait avec son cœur.

La figure de l’homme dominait le groupe. La femme était à ses pieds : ils ne faisaient rien, tendrement. Ils regardaient la lune, comme des monuments.

Il parla. Je reconnus cette voix qui éclaira tout d’un coup à mes yeux sa figure ensevelie ; c’était l’amant et le poète sans nom que j’avais vu deux fois.

Il disait à sa compagne que le soir, en rentrant, il avait rencontré une femme, une pauvresse, avec son enfant dans les bras.

Elle allait, poussée, portée, par la foule du re-