Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/312

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je sentais vivre en moi le battement de ses douces paroles. Il semblait chercher, revoir et croire infiniment. Il était dans un autre monde, où tout ce qu’on voit est vrai, où tout ce qu’on dit est inoubliable.

Elle demeurait à ses genoux. Elle levait les yeux vers lui ; elle n’était qu’une attention qui s’emplissait comme un vase précieux.

— Mais son sourire, ajouta-t-il, n’était pas seulement de l’admiration envers l’avenir. Il y avait aussi en lui quelque chose de tragique qui m’a pénétré et que j’ai bien compris. Elle adorait la vie, mais elle détestait les hommes et avait peur d’eux, toujours à cause de l’enfant. Elle le disputait déjà aux vivants dont il n’était presque pas encore. Elle leur adressait, avec son sourire, un défi. Elle semblait leur dire : il vivra malgré vous, il fleurira contre vous, il se servira de vous ; il vous domptera, pour vous dominer ou pour être aimé, et déjà il vous brave avec son petit souffle, celui que je porte dans mes griffes maternelles. Elle était terrible. Je l’avais vue d’abord comme un ange de bonté. Je la retrouvais, sans qu’elle eût changé, comme un ange d’inclémence et de rancune : « Je vois une sorte de haine pour ceux dont il sera maudit crisper sa face, où resplendit la maternité surhumaine, son cœur sanglant plein d’un seul cœur, qui prévoit le mal et la honte, qui hait les hommes