Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/319

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Je suis perdu comme la première fois que je vins ici, comme le soir où j’ai pris possession de cette chambre patinée par les disparus et les morts — avant qu’il se fît dans mon destin ce grand changement de lumière.

Et peut-être à cause de ma fièvre, peut-être à cause de ma haute douleur, je me figure qu’on crie là un grand poème, qu’on parle de Prométhée. Il a volé la lumière aux dieux, il sent dans ses entrailles la douleur toujours renaissante et toujours neuve s’amonceler de soir en soir, quand le vautour vole à lui comme à son nid, — et on prouve que nous sommes tous comme cela à cause du désir : mais il n’y a ni vautour ni dieux.

Il n’y a de paradis que ce que nous apportons dans le grand tombeau des églises. Il n’y a d’enfer que la fureur de vivre.

Il n’y a pas de feu mystérieux. J’ai volé la vérité. J’ai volé toute la vérité. J’ai vu des choses sacrées, des choses tragiques, des choses pures, et j’ai eu raison ; j’ai vu des choses honteuses, et j’ai eu raison. Et par là j’ai été dans le royaume de vérité, si on peut employer à l’égard de la vérité, sans la souiller, l’expression dont se sert le mensonge et le blasphème religieux.



Qui fera la bible du désir humain, la bible terrible et simple de ce qui nous pousse de la vie à la vie, de notre geste, de notre direction, de notre chute