Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à travers sa vertu, et ne se donne pas : elle est semblable à un chef-d’œuvre ; elle reste aussi distante, aussi immuable, dans l’écart de l’abîme et du silence, que la statue et la musique.

Et tout ce qui m’attire m’empêche de m’approcher. Il faut que je sois malheureux, il faut que je sois à la fois un voleur et une victime… Je n’ai pas d’autre recours que de désirer, de me dépasser moi-même à force de désir, de rêve et d’espoir, de désirer et de posséder mon désir.

Pendant un instant, j’ai détourné la tête, tant est puissante et cruelle l’alternative où je me débats, et dans le trou qui se creuse sans limites sous mes yeux, j’ai laissé perdre les doux bruits qu’elle faisait… Est-ce que je deviens fou ? Non, c’est la vérité qui est folle.

De mon corps tout entier, de ma pensée tout entière, je surmonte ma défaillance charnelle, ma chair se tait et ne rêve plus, et par-dessus mes lourdes ruines, je commence à regarder.

Comme si elle avait pitié de moi, elle se rhabille, se recouvre toute.

Maintenant, elle a allumé la lampe. Elle a remis une robe ; elle me cache tous les beaux secrets qu’elle cache à tous ; elle est rentrée dans le deuil de sa pudeur.

Elle me donne encore quelques mouvements éparpillés. La voici qui se mesure la taille ; elle se met un peu de rouge au bord de l’oreille, puis l’enlève ; elle se sourit à la glace, de deux façons différentes, et même elle prend une pose désappointée, un instant. Elle invente mille petits mouvements