Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/55

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la fois où j’ai le plus approché ma bouche de la vôtre.

— La nuit, dit-elle, l’âme surélevée dans une effusion de beauté, la nuit caresse les caresses…

— Je vous ai pris la main, et j’ai compris que vous viviez toute.

« Avant, je disais « ma cousine Hélène », mais je ne savais pas ce que je disais en parlant ainsi. Maintenant, quand je dirai : elle, ce sera tout… »

De nouveau, ils joignirent les lèvres. Leurs bouches et leurs yeux étaient ceux d’Adam et d’Ève. J’évoquai l’infini exemple ancestral d’où l’histoire sainte et l’histoire humaine coulent comme d’une fontaine. Ils erraient dans la lumière pénétrante du paradis, sans rien savoir ; ils étaient comme s’ils n’étaient pas. Quand, — par suite du triomphe de la curiosité, interdite pourtant par Dieu en personne, — ils ont appris le secret, découvert la séparation caressante et entrevu la grande volonté de la chair, le ciel s’est obscurci. La certitude d’un avenir de douleur est tombée sur eux ; des anges, comme des vautours, les ont chassés ; ils ont roulé sur la terre, de jour en jour, mais ils avaient créé l’amour, remplacé la richesse divine par la pauvreté d’être l’un à l’autre.

Les deux petits enfants ont pris position dans le drame éternel. Ils se parlent, et restituent au tutoiement toute son importance reconquise :

— Je voudrais t’aimer plus… je voudrais surtout t’aimer plus fort, mais je ne sais pas comment… Je voudrais te faire mal, mais je ne sais pas comment.