Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa vie. Et ce fut lentement qu’elle tourna la tête vers lui, paralysée un instant, m’a-t-il semblé, par l’effroi que ce ne fût pas lui… Ils se dévisagèrent ; il y eut entre eux un cri passionné et contenu, presque muet, répercuté de l’un à l’autre, et par quoi semblait se rouvrir leur blessure commune.

— Toi !

— Toi !

Elle était presque défaillante. Elle s’abattit sur sa poitrine, jetée sur lui par un orage.

Elle avait eu juste assez de force pour venir tomber dans ses bras. Je vis les deux grandes mains pâles de l’homme, ouvertes, à peine crispées, appuyées sur le dos de la femme. Une sorte de palpitation désespérée s’empara d’eux, on eût dit dans la chambre un vaste ange qui se débattait et cherchait en vain à s’enfuir infiniment ; et il me semblait que la chambre était trop petite pour ce couple, bien qu’elle fût pleine du soir.

— On ne nous a pas vus !

C’était la même phrase qui, l’autre jour, s’était exhalée des deux enfants.

Il lui dit : « Viens ». Il la conduisit sur le divan, près de la fenêtre. Ils s’assirent sur le velours rouge. On voyait leurs bras qui les réunissaient comme des liens. Ils restèrent là, enfoncés, ramenant autour d’eux toute l’ombre du monde, s’y ranimant, recommençant à y exister, se retrouvant dans leur élément de nuit et de solitude.

Quelle entrée, quelle entrée ! Quelle poussée de malédiction !