Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/65

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… Elle était vêtue simplement. Elle avait ôté ses gants noirs, sa jaquette et son chapeau. Elle portait une jupe sombre, un corsage rouge sur lequel brillait une chaînette dorée.

C’était une femme d’une trentaine d’années, à la figure régulière, à la chevelure soignée et soyeuse ; il me semblait que je la connaissais déjà ou que je ne la reconnaîtrais pas.

Elle se mit à parler d’elle tout haut, à évoquer un passé infiniment lourd.

— Quelle vie je menais ! quelle monotonie, quel vide ! La petite ville, la maison, le salon, avec les meubles rangés çà et là, et qui jamais ne changeaient de place, comme des pierres tombales… Un jour, j’ai essayé de disposer autrement la table du milieu. Je n’ai pas pu.

Sa figure pâlit, devint plus lumineuse.

Il l’écoutait. Un sourire de patience, de résignation, qui ressembla vite à de la lassitude un peu souffrante, errait sur son si fin visage. Ah ! il était vraiment beau, quoique un peu déconcertant, avec ses grands yeux qu’on sentait adorés, sa moustache tombante, son air tendre et lointain. Il semblait un de ces êtres doux, qui pensent trop, et qui font le mal. Il semblait au-dessus de toute chose et capable de tout… Un peu absent de ce qu’elle disait, mais remué pourtant de l’envie d’elle, il avait l’air d’attendre.

… Et brusquement, les voiles se déchirèrent à mes yeux, la réalité se dénuda devant moi : je vis qu’il y avait entre ces deux être une immense différence, et comme un désaccord infini, sublime