Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/66

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à voir, à cause de ses profondeurs, mais tellement poignant que j’en avais le cœur meurtri.

Il n’était mû que par le désir d’elle ; elle, par le seul besoin de sortir de sa vie. Leurs vœux n’étaient pas les mêmes ; leur couple avait l’air uni, mais il ne l’était pas.

Ils ne parlaient pas la même langue ; quand ils disaient les mêmes choses ils ne s’entendaient guère, et, à mes yeux, dès ces premiers instants, leur union apparut plus brisée que s’ils ne s’étaient jamais connus.

Mais lui, ne disait pas ce qu’il pensait ; cela se sentait au son de sa voix, au charme même de son accent, au choix chantant de ses mots : il pensait à lui plaire, et il mentait. Il lui était évidemment supérieur, mais elle le dominait par une sorte de sincérité géniale. Alors qu’il était maître de ses paroles, elle s’offrait dans les siennes.

… Elle décrivait le décor de sa vie d’autrefois.

— De la fenêtre de la chambre et de celle de la salle à manger, je voyais la place. La fontaine au milieu, avec son ombre à ses pieds. Je regardais le jour tourner là, sur cette place petite, blanche et ronde, comme un cadran.

« … Le facteur la parcourait régulièrement, sans penser ; devant la porte de l’arsenal, un soldat ne faisait rien… Et plus personne quand midi sonnait, comme un glas. Je me souviens surtout du glas de midi : le milieu de la journée, la perfection de l’ennui.

« Rien ne m’arrivait, rien ne m’arriverait. Rien ne m’était. L’avenir n’existait plus pour moi.