Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/68

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me fallait la haine de cet ennui. Comment se fait-il que j’ai eu cette haine ? Je ne sais pas.

« Je ne me reconnaissais plus, je n’étais plus moi, tellement j’avais besoin d’autre chose. Je ne savais même plus comment je m’appelais.

« Il y a un jour, je me rappelle, où (je ne suis pas méchante, pourtant) j’ai rêvé délicieusement que mon mari était mort, mon pauvre mari qui ne m’avait rien fait, et que j’étais libre, libre, aussi grande que tout !

« Ça ne pouvait pas durer. Je ne pouvais pas longtemps détester à ce point la monotonie, la dévastation, l’habitude. Oh ! l’habitude, c’est de toutes les ombres la plus vraie, et la nuit n’est pas de la nuit, en comparaison…

« La religion ? Ce n’est pas avec la religion qu’on comble le vide de ses jours, c’est avec sa propre vie. Ce n’était pas avec des croyances, avec des idées qu’il me fallait lutter, c’était avec moi-même.

« Alors, le remède, je l’ai trouvé ! »

Elle criait presque, rauque, admirable :

— Le mal, le mal ! Le crime contre l’ennui, la trahison pour briser l’habitude. Le mal pour être nouvelle, pour être autre, pour haïr la vie plus fort qu’elle me haïssait, le mal pour ne pas mourir !

« Je t’ai rencontré ; tu faisais des vers et des livres ; tu étais différent des autres, tu avais une voix tremblante et donnant l’impression de la beauté, et surtout, tu étais là, dans mon existence, en face de moi ; je n’avais qu’à tendre les bras. Alors,