Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je t’ai aimé de toutes mes forces, si on peut appeler cela aimer, mon pauvre petit ! »

Elle parlait maintenant à voix basse et hâtée, avec de l’oppression et de l’enthousiasme, et elle jouait avec la main de son compagnon comme avec une petite chose.

— Et toi aussi, tu m’as aimée, naturellement… Et quand nous nous sommes glissés un soir dans l’hôtel — la première fois, — il me sembla que la porte s’en est ouverte toute seule, et je me suis remerciée de m’être révoltée et d’avoir déchiré ma destinée comme ma robe.

« Et depuis ! Le mensonge — dont on souffre parfois, mais qu’on ne déteste plus lorsqu’on réfléchit, — les risques, les dangers qui communiquent du goût aux heures, les complications qui multiplient la vie ; ces chambres, ces cachettes, ces prisons noires, qui ont donné l’envolée au soleil que j’avais !

« Ah ! fit-elle. »

Il me sembla qu’elle soupira comme si, son aspiration réalisée, il n’y avait plus rien d’aussi beau devant elle.

Elle se recueillit et dit :

— Voilà ce que nous sommes… Oh ! j’ai cru peut-être aussi, sur le moment, à une espèce de coup de foudre, à une attirance surnaturelle et fatale, à cause de ta poésie. Mais, en vérité, je