Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/88

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autour, une à une. Elles passent, s’en vont, après avoir eu l’air de s’approcher de moi.

Vaincu, je me suis obéi, au hasard. J’ai suivi une femme, qui me guettait de son coin. Puis, nous avons marché côte à côte. Nous avons échangé quelques paroles ; elle m’a mené chez elle. Sur le palier, lorsqu’elle a ouvert la porte, j’ai été secoué d’un tressaillement d’idéal. Puis j’ai subi la scène banale. Cela a passé vite comme une chute.

Je suis de nouveau sur le trottoir. Je ne suis pas tranquillisé, comme je l’avais espéré. Un trouble immense me désoriente. On dirait que je ne vois plus les choses comme elles sont ; je vois trop loin et je vois trop de choses.

Qu’y a-t-il donc ? Je m’assois sur un banc, lassé, excédé par mon propre poids. De la pluie commence à tomber. Les passants se hâtent, se raréfient ; puis, ce sont les parapluies ruisselants, les gouttières qui se déversent, les chaussées et les trottoirs luisants et noirs, le demi-silence étendu, tout le deuil de la pluie… Mon mal, c’est d’avoir un rêve plus vaste et plus fort que je ne puis le supporter.

Malheur à ceux qui pensent à ce qu’ils n’ont pas ! Ils ont raison, mais ils ont trop raison, et ils sont par là hors nature. Les simples, les faibles, les humbles, passent insouciants à côté de ce qui n’est pas pour eux ; ils effleurent tout, tous, toutes, sans angoisses (et encore même ces petites âmes désirent de petites choses, minute par minute !). Mais les autres, mais moi !