Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vouloir prendre ce qu’on n’a pas, voler ! Il m’a suffi de voir quelques êtres se débattre du fond de leur vérité, pour me pénétrer de la croyance que l’homme va et tourne dans ce sens aussi sûrement que la terre tourne dans le sien.

Hélas, hélas, je n’ai pas seulement appris cette simplicité épouvantable, j’ai été pris dans son rouage. J’en ai subi la contagion ; mon désir, à moi, s’aggrave et s’étend, je voudrais vivre toutes les vies, peser sur tous les cœurs, et il me semble que ce qui n’est pas pour moi se retire de moi, et que je suis seul, je suis abandonné.

Et blotti sur ce banc, parmi la grande rue déserte et mouvante de pluie, battu par la rafale, me faisant petit pour m’abriter plus, — je suis désespéré parce que j’aime tout comme si j’étais trop bon.

Ah ! J’entrevois comment je serai châtié d’être entré dans les secrets à vif des hommes. Je serai puni par où j’ai péché. Je subirai l’infini de la misère que je lis dans les autres. Je serai puni dans chaque mystère qui se tait, dans chaque femme qui passe.

L’infini n’est pas ce qu’on croit. On le place volontiers dans l’âme poétique de quelque héros de légende ou de chef-d’œuvre ; on en pare comme d’un costume de théâtre la tumultueuse exception de quelque Hamlet romantique… L’infini vit doucement dans cet homme dont la glace de devanture me renvoyait tout à l’heure le reflet incertain : en moi, tel qu’on me rencontre avec ma figure banale et mon nom ordinaire, et qui voudrais tout