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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/127

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répéter : « Y en a trop » ; il était oppressé et soufflait, et il avala une bouchée déliquescente de pain, et il ravala aussi la masse désordonnée et étouffante de ses souvenirs.

— C’est-i’ des embusqués qu’tu veux causer ?

— Tu parles !

Il avait lancé par-dessus le talus le restant de son bœuf, et ce cri, ce soupir, sortit violemment de sa bouche comme d’une soupape.

— T’en fais pas pour les embusqués, vieille colique, conseilla Barque, goguenard, mais non sans quelque amertume. À quoi ça sert ?

Ramassé et dissimulé sous le toit fragile et inconsistant de son capuchon ciré où l’eau précipitait un glacis brillant, et tendant sa gamelle vide à la pluie pour la nettoyer, Volpatte gronda :

— J’suis pas maboul tout à fait, et j’sais bien qu’des mecs de l’arrière, l’en faut. Qu’on aye besoin d’traîne-pattes, j’veux bien… Mais y en a trop, et ces trop-là, c’est toujours les mêmes, et pas les bons, voilà !

Soulagé par cette déclaration qui mettait un peu de lumière à travers le sombre méli-mélo des colères qu’il rapportait parmi nous, Volpatte parla par bribes, à travers les nappes acharnées de pluie :

— Dès le premier patelin où on m’a expédié à petite vitesse, j’en ai vu des chiées, des chiées, et i’s ont commencé à m’faire une mauvaise impression sur moi. Toutes sortes de services, de sous-services, de directions, de centres, de bureaux, de groupes. Pendant les premiers temps, quand t’es là-dedans, autant de bonhommes tu rencontres, autant d’services différents qui se ressemblent pas comme noms. C’est à en devenir r’tourné. Mon vieux, celui qui a inventé les noms de tous ces services, il avait une rude tête !

» Alors, tu veux pas qu’j’en soye indigestionné ? J’en ai plein mes mirettes et malgré moi, quand j’fais à moitié aut’ chose, j’en rêve à moitié !