Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/19

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— Alors quoi ? Ah ! si je tenais la carne qui me l’a faite ! Tu parles que j’y casserais la gueule, que j’y défoncerais le bide, que j’y… Y avait dedans un camembert pas entamé. J’vas encore chercher.

Il se frictionne le ventre du poing, à petits coups secs, comme un guitariste, et il s’enfonce dans le gris du matin, à la fois digne et grimaçant, avec sa silhouette engoncée de malade en robe de chambre. On l’entend roussoter jusqu’à disparition.

— C’con-là, dit Pépin.

Les autres ricanent.

— Il est fou et loufoque, déclare Marthereau, qui a coutume de renforcer l’expression de sa pensée par l’emploi simultané de deux synonymes.

— Tiens, p’tit père, dit Tulacque, qui arrive, vise-moi ça.

Tulacque est magnifique. Il porte une casaque jaune citron, faite au moyen d’un sac de couchage en toile huilée. Il a pratiqué un trou au milieu pour passer la tête et a assujetti, par-dessus cette carapace, ses bretelles de suspension et son ceinturon. Il est grand, osseux. Il tend en avant, lorsqu’il marche, une énergique figure aux yeux louches. Il tient quelque chose à la main.

— J’ai trouvé ça en creusant la terre, cette nuit, au bout du Boyau Neuf, quand on a changé les caillebotis pourris. Ça m’a plu tout de suite, c’t’affutiau. C’est une hache ancien modèle.

Pour un ancien modèle, c’en est un : une pierre pointue emmanchée dans un os bruni. Ça m’a tout l’air d’un outil préhistorique.

— C’est bien en mains, dit Tulacque en maniant l’objet. Mais oui. C’est pas si mal compris que ça. Plus équilibré que la hachette réglementaire. C’est épa-