— Alors pourquoi ?
— Pour rien, à cause du changement, répondit-il.
— T’as tout du cuistancier, dit Barque. Tu devrais l’être.
— C’est mon idée aussi, repartit Blaire, naïvement.
On rit. L’homme noir s’en offusqua. Il se leva.
— Vous m’faites mal au ventre, articula-t-il avec mépris. J’vas aux feuillées.
Quand sa silhouette trop obscurcie eut disparu, les autres ressassèrent une fois de plus cette vérité qu’ici-bas les cuisiniers sont les plus sales des hommes.
— Si tu vois un bonhomme barbouillé et taché de la peau et des frusques, à ne le toucher qu’avec des outils, tu peux t’dire : c’est un cuistot, probab’. Et tant plus il est sale, tant plus il est cuistot.
— C’est vrai et véritable, tout de même, dit Marthereau.
— Tiens, v’là Tirloir. Eh ! Tirloir !
Il approche affairé, flairant de-ci, de-là ; sa mince tête, pâle comme le chlore, danse au milieu du bourrelet de son col de capote beaucoup trop épais et large. Il a le menton taillé en pointe, les dents de dessus proéminentes ; une ride, autour de la bouche, profondément encrassée, a l’air d’une muselière. Il est, selon son ordinaire, furieux, et, comme toujours, il rousse :
— On m’a fauché ma musette, c’te nuit !
— C’est la relève du 129. Où c’que tu l’avais mise ?
Il désigne une baïonnette fichée dans la paroi, près d’une entrée de cagna :
— Là, pendue à c’cure-dents qu’est planté ici là.
— Ballot ! s’écrie le chœur. À la portée de la main des soldats qui passent ! T’es pas dingue, non ?
— C’est malheureux, tout de même, gémit Tirloir.
Puis, tout d’un coup, il est pris d’une crise de rage ; sa face se chiffonne, furibonde, ses petits poings se serrent, se serrent, comme des nœuds de ficelle. Il les brandit.