Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/219

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en f’sait un saladier à propos de son trésor, et qu’i’ nous t’nait la jambe et nous cassait l’bonnet avec ça !

— On l’disait bien, là-bas, on n’sait jamais, tu t’rappelles ! On n’se doutait pas comme on avait raison, tu t’rappelles ?

— Tout de même, y a des choses dont on est sûr, dit Farfadet, qui, depuis qu’on parlait de Gauchin, restait songeur, l’air absent, comme si une figure adorable lui souriait.

— Mais ça, ajouta-t-il, je l’aurais pas cru non plus, moi !… Ce que je vais le trouver fier, le vieux, quand je retournerai là-bas, après la guerre !

— On demande un homme de bonne volonté pour aider les sapeurs à faire un travail, dit le grand adjudant.

— Plus souvent ! grognent les hommes sans bouger.

— C’est utile pour dégager les camarades, reprend l’adjudant.

Alors, on cesse de grogner, quelques têtes se lèvent.

— Présent ! dit Lamuse.

— Harnache-toi, mon gros, et viens avec moi.

Lamuse boucle son sac, roule sa couverture, assujettit ses musettes.

Il est devenu, depuis le temps que sa crise d’amour malheureux s’est calmée, plus sombre qu’autrefois, et bien qu’il continue à engraisser par une sorte de fatalité, il s’absorbe, s’isole et ne parle plus guère.

Le soir, quelque chose approche, dans la tranchée, montant et descendant selon les bosses et les trous du fond : une forme qui semble nager dans l’ombre, et tendre à certains moments les bras, comme un appel au secours.

C’est Lamuse. Il nous rejoint. Il est plein de terreau et de boue. Frémissant, ruisselant de sueur, il a l’air d’avoir peur. Ses lèvres remuent et il marmotte :