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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/227

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Il titube et s’arrête.

— Allons ! mets-en un coup, vieux machin, grince Pépin d’une voix rauque et essoufflée.

Il le prend par la manche et le tire en avant, comme un limonier rétif.

— Nous y v’là ! dit tout d’un coup Poupardin.

— Oui, je r’connais c’t’arbre.

— C’est la route des Pylônes !

— Ah ! gémit Blaire que sa respiration secoue comme un moteur. Et il se jette en avant d’un dernier élan, et vient s’asseoir par terre.

— Halte-là ! crie une sentinelle.

— Ben quoi ! balbutie ensuite cet homme en voyant les quatre poilus. D’où c’est-i’ que vous venez, par là ?

Ils rient, sautent comme des pantins, ruisselants de sueur et pleins de sang, ce qui dans le soir les fait paraître encore plus noirs ; le casque de l’officier allemand brille dans les mains de Pépin.

— Ah ! merde alors ! marmonne la sentinelle, béante. Mais quoi ?…

Une réaction d’exubérance les agite et les affole.

Tous parlent à la fois. On reconstitue confusément, à la hâte, le drame dont ils s’éveillent sans bien savoir encore. En quittant la sentinelle à moitié endormie, ils se sont trompés et ont pris le Boyau International, dont une partie est à nous et une partie aux Allemands. Entre le tronçon français et le tronçon allemand, pas de barricade, de séparation. Il y a seulement une sorte de zone neutre aux deux extrémités de laquelle veillent perpétuellement deux guetteurs. Sans doute le guetteur allemand n’était pas à son poste, ou bien il s’est caché en voyant quatre ombres, ou bien s’est replié et n’a pas eu le temps de ramener du renfort. Ou bien encore l’officier allemand s’est fourvoyé trop en avant dans la zone neutre… Enfin, bref, on comprend ce qui s’est passé sans bien comprendre.

— Le plus rigolo, dit Pépin, c’est qu’on savait tout ça