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Tout à coup une étoile intense s’épanouit là-bas, vers les lieux vagues où nous allons : une fusée. Elle éclaire toute une portion du firmament de son halo laiteux, en effaçant les constellations, et elle descend gracieusement avec des airs de fée.

Une rapide lumière en face de nous, là-bas ; un éclair, une détonation.

C’est un obus !

Au reflet horizontal que l’explosion a instantanément répandu dans le bas du ciel, on voit nettement que, devant nous, à un kilomètre peut-être, se profile, de l’est à l’ouest, une crête.

Cette crête est à nous dans toute la partie visible d’ici, jusqu’au sommet, que nos troupes occupent. Sur l’autre versant, à cent mètres de notre première ligne, est la première ligne allemande.

L’obus est tombé sur le sommet, dans nos lignes. Ce sont eux qui tirent.

Un autre obus. Un autre, un autre, plantent, vers le haut de la colline, des arbres de lumière violacée dont chacun illumine sourdement tout l’horizon.

Et bientôt, il y a un scintillement d’étoiles éclatantes et une forêt subite de panaches phosphorescents sur la colline : un mirage de féerie bleu et blanc se suspend légèrement à nos yeux dans le gouffre entier de la nuit.

Ceux d’entre nous qui consacrent toutes les forces arc-boutées de leurs bras et de leurs jambes à empêcher leurs vaseux fardeaux trop lourds de leur glisser du dos et à s’empêcher eux-mêmes de glisser par terre, ne voient rien et ne disent rien. Les autres, tout en frissonnant de froid, en grelottant, en reniflant, en s’épongeant le nez avec des mouchoirs mouillés qui pendent de l’aile, en maudissant les obstacles de la route en lambeaux, regardent et commentent.

— C’est comme si tu vois un feu d’artifice, disent-ils.

Complétant l’illusion de grand décor d’opéra féerique et sinistre devant lequel rampe, grouille et clapote notre