Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/233

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On discerne mieux maintenant la forme des « arrivées » : à chaque coup, un flocon blanc soufré, souligné de noir, se forme, en l’air, à une soixantaine de mètres de hauteur, se dédouble, se pommelle, et, dans l’éclatement, l’oreille perçoit le sifflement du paquet de balles que le flocon jaune envoie furieusement sur le sol.

Cela explose par rafales de six, en file : pan, pan, pan, pan, pan, pan. C’est du 77.

On les méprise, les shrapnells de 77 – ce qui n’empêche pas que Blesbois ait justement été tué, il y a trois jours, par l’un d’eux. Ils éclatent presque toujours trop haut.

Barque nous l’explique, bien que nous le sachions :

— Le pot de chambre te protège suffisamment l’caberlot contre les billes de plomb. Alors, ça t’démolit l’épaule et ça t’fout par terre, mais ça t’bousille pas. Naturellement, faut t’coqter tout d’même. Avise-toi pas de l’ver la trompe en l’air pendant l’moment que dure la chose, ou de tendre la main pour voir s’il pleut. Tandis que le 75 à nous…

— Y a pas qu’des 77, interrompit Mesnil André. Y en a de tout poil. Allume-moi ça…

Des sifflements aigus, tremblotants ou grinçants, des cinglements. Et sur les pentes dont l’immensité transparaît là-bas, et où les nôtres sont au fond des abris, des nuages de toutes les formes s’amoncellent. Aux colossales plumes incendiées et nébuleuses, se mêlent des houppes immenses de vapeur, des aigrettes qui jettent des filaments droits, des plumeaux de fumée s’élargissant en retombant – le tout blanc ou gris-vert, charbonné ou cuivré, à reflets dorés, ou comme taché d’encre.

Les deux dernières explosions étaient toutes proches ; elles forment, au-dessus du terrain battu, des énormes boules de poussière noires et fauves qui, lorsqu’elles se déplient et s’en vont sans hâte, au gré du vent, leur besogne faite, ont des silhouettes de dragons fabuleux.

Notre file de faces à ras du sol se tourne de ce côté et