Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/235

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comme ça. Au milieu de tous ces fracas divers, on a beau être habitué, on se perd. Il est bien advenu à toute une section, l’autre jour, dans le bois, de prendre, un instant, pour le bruissement rauque d’une arrivée les premiers accents de la voix d’un mulet qui, non loin, se mettait à pousser son braiment-hennissement.

— Dis donc, y a quelque chose en fait d’saucisses en’air, c’matin, remarque Lamuse.

Les yeux levés, on les compte.

— Y a huit saucisses chez nous et huit chez les Boches, dit Cocon, qui avait déjà compté.

En effet, au-dessus de l’horizon, à intervalles réguliers, en face du groupe des ballons captifs ennemis, plus petits dans la distance, planent les huit longs yeux légers et sensibles de l’armée, reliés aux centres de commandement par des filaments vivants.

— I’s nous voient comme on les voit. Comment veux-tu leur z’y échapper à ces espèces de grands bons dieux-là ?


— Voilà not’ réponse !

En effet, tout d’un coup, derrière notre dos, éclate le fracas net, strident, assourdissant du 75. Ça crépite sans arrêt.

Ce tonnerre nous soulève, nous enivre. Nous crions en même temps que les pièces et nous nous regardons sans nous entendre – sauf la voix extraordinairement perçante de cette « grande gueule » de Barque – au milieu de ce roulement de tambour fantastique dont chaque coup est un coup de canon.

Puis nous tournons les yeux en avant, le cou tendu, et nous voyons, en haut de la colline, la silhouette supérieure d’une rangée noire d’arbres d’enfer dont les racines terribles s’implantent dans le versant invisible où se tapit l’ennemi,


— Qu’est-ce que c’est qu’ça ?