Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/260

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— On l’aurait r’trouvé, j’te dis, s’il était crampsé, car tu penses bien que si ça était, les Boches ne l’auraient pas rentré son corps. On a cherché partout, en somme. Pisqu’i’ s’est pas vu r’trouvé, faut bien que, blessé ou pas blessé, i’ s’soye fait faire aux pattes.

Cette hypothèse, qui est si logique, s’accrédite – et maintenant qu’on sait qu’André Mesnil est prisonnier, on s’en désintéresse. Mais son frère continue à faire pitié :

— Pauv’ vieux, il est si jeune !

Et les hommes de l’escouade le regardent à la dérobée.

— J’ai la dent ! dit tout d’un coup Cocon.

Comme l’heure de la soupe est passée, on la réclame. Elle est là, puisque c’est le reste de ce qui a été apporté la veille.

— À quoi que l’caporal pense de nous faire claquer du bec ? Le v’là. J’vais l’agrafer. Eh ! caporal, à quoi qu’tu penses d’pas nous faire croûter ?

— Oui, oui, la croûte ! répète le lot des éternels affamés.

— Je viens, dit Bertrand, affairé, et qui, le jour et la nuit, n’arrête pas.

— Alors quoi ! fait Pépin, toujours mauvaise tête, j’m’en ressens pas pour encore becqueter des clarinettes ; j’vais ouvrir une boîte de singe en moins de deux.

La comédie quotidienne de la soupe recommence, à la surface de ce drame.

— Ne touchez pas à vos vivres de réserve ! dit Bertrand. Aussitôt revenu de voir le capitaine, je vais vous servir.

De retour, il apporte, il distribue et on mange la salade de pommes de terre et d’oignons, et, à mesure qu’on mâche, les traits se détendent, les yeux se calment.


Paradis a arboré pour manger un bonnet de police. Ce n’est guère le lieu ni le moment, mais ce bonnet est tout neuf et le tailleur, qui le lui a promis depuis trois