Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/263

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— Tu parles.

On la renifle, elle nous entre dans la pensée, nous chavire l’âme.

— Alors, comme ça, dit Paradis, Joseph reste tout seul sur six frères. Et j’vas t’dire une chose, moi : j’crois qu’i’ rest’ra pas longtemps. C’gars-là s’ménagera pas, i’ s’f’ra zigouiller. I’ faudrait qu’i’ lui tombe du ciel une bonne blessure, autrement, il est foutu. Six frères, c’est trop, ça. Tu trouves pas qu’c’est trop ?

Il ajouta :

— C’est épatant c’qu’il était près de nous.

— Son bras est posé juste contre l’endroit où je mets ma tête.

— Oui, dit Paradis, son bras droit où il y a la montre au poignet.

La montre… Je m’arrête… Est-ce une idée, est-ce un rêve ?… Il me semble, oui, il me semble bien, en ce moment, qu’avant de m’endormir, il y a trois jours, la nuit où on était si fatigués, j’ai entendu comme un tic-tac de montre et que même je me suis demandé d’où cela sortait.

— C’était p’t’êt’ ben tout d’même c’te montre que t’entendais à travers la terre, dit Paradis, à qui j’ai fait part de mes réflexions. Ça continue à réfléchir et à tourner, même quand l’bonhomme s’arrête. Dame, ça vous connaît pas, c’te mécanique ; ça survit tout tranquillement en rond son p’tit temps.

Je demandai :

— Il a du sang aux mains ; mais où a-t-il été touché ?

— Je n’sais pas. Au ventre, je crois, il me semble qu’il y avait du noir au fond d’lui. Ou bien à la figure. T’as pas remarqué une petite tache sur la joue ?

Je me remémore la face glauque et hirsute du mort.

— Oui, en effet, il y a quelque chose sur la joue, là. Oui, peut-être elle est entrée là…

— Attention ! me dit précipitamment Paradis, le voilà ! Il n’aurait pas fallu rester ici.