Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/290

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Je suis seul. Où est Paradis ? Il a dû se coucher dans quelque fond. Peut-être m’a-t-il appelé sans je l’aie entendu.

Je rencontre Marthereau.

— J’cherche où dormir ; j’étais d’garde, me dit-il.

— Moi aussi. Cherchons.

— Qu’est-ce que c’est de c’bruit et de c’shproum ? dit Marthereau.

Un murmure de piétinements et de voix, tassés, déborde du boyau qui débouche là.

— Les boyaux sont pleins d’bonhommes et d’types… Qui c’est qu’vous êtes ?

Un de ceux auxquels on se trouve tout d’un coup mêlé, répond :

— On est le 5e Bâton.

Les nouveaux venus font la pause. Ils sont en tenue. Celui qui a parlé s’assoit, pour souffler, sur les rotondités d’un sac de terre qui dépasse l’alignement, et pose ses grenades à ses pieds. Il s’essuie le nez du revers de sa manche.

— Quoi qu’vous v’nez faire par ici ? On vous l’a dit ?

— Plutôt qu’on nous l’a dit : nous v’nons pour attaquer. On va là-bas, jusqu’au bout.

De la tête, il indique le Nord.

La curiosité qui les contemple s’accroche à un détail :

— Vous avez emporté tout vot’ bordel ?

— Nous avons mieu’ aimé l’garder, et voilà.

— En avant ! leur commande-t-on.

Ils se lèvent et s’avancent, mal réveillés, les yeux bouffis, les rides soulignées. Il y a des jeunes au cou mince et aux yeux vides, et des vieux, et, au milieu, des hommes ordinaires. Ils marchent d’un pas ordinaire et pacifique. Ce qu’ils vont faire nous semble, à nous qui l’avons fait la veille, au-dessus des forces humaines. Et pourtant ils s’en vont vers le Nord.