Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/317

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— Pour croire en Dieu, il faudrait qu’il n’y ait rien de c’qu’y a. Alors, pas, on est loin de compte !

Plusieurs mutilés, en même temps, sans se voir, communient dans un hochement de tête de négation.

— Vous avez raison, dit un autre, vous avez raison.

Ces hommes en débris, ces vaincus isolés et épars dans la victoire, ont un commencement de révélation. Il y a, dans la tragédie des événements, des minutes où les hommes sont non seulement sincères, mais véridiques, et où on voit la vérité sur eux, face à face.

— Moi, fit un nouvel interlocuteur, si je n’y crois pas, c’est…

Une quinte de toux terrible continua affreusement la phrase. Quand il s’arrêta de tousser, les joues violettes, mouillé de larmes, oppressé, on lui demanda :

— Par où c’que t’es blessé, toi ?

— J’suis pas blessé, j’suis malade.

— Oh alors ! dit-on, d’un accent qui signifiait : tu n’es pas intéressant.

Il le comprit et fit valoir sa maladie :

— J’suis foutu. J’crache le sang. J’ai pas d’forces ; et, tu sais, ça r’vient pas quand ça s’en va par là.

— Ah, ah, murmurèrent les camarades, indécis, mais convaincus malgré tout de l’infériorité des maladies civiles sur les blessures.

Résigné, il baissa la tête et répéta tout bas, pour lui-même :

— J’peux pus marcher, où veux-tu que j’aille ?

Dans le gouffre horizontal qui, de brancard en brancard, s’allonge en se rapetissant, à perte de vue, jusqu’au blême orifice de jour, dans ce vestibule désordonné où çà et là clignotent de pauvres flammes de chandelles qui rougeoient et paraissent fiévreuses, et où se jettent de temps en temps des ailes d’ombres, un remous s’élève