Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/322

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de la légion étrangère, au casque et à la capote jaune sombre.

— C’est pas la peine de bonimenter, gouaille l’un d’eux. J’vas y rester, à cette fois-ci. C’est couru : j’ai l’intestin traversé. Si j’étais dans un hôpitau, dans une ville, on m’opérerait à temps et ça pourrait coller. Mais ici ! C’est hier que j’ai été attigé. On est à deux ou trois heures de la route de Béthune, pas, et d’la route, y a combien d’heures, dis voir, pour une ambulance où on peut opérer ? Et pis, quand nous ramassera-t-on ? C’est d’la faute à personne, tu m’entends, mais faut voir c’qui est. Oh ! de ce moment-ci, j’sais bien, ça ne va pas plus mal que ça. Seul’ment, voilà, c’est forcé de n’pas durer, pisque j’ai un trou tout du long dans l’paquet de mes boyaux. Toi, ta patte se r’mettra, ou on t’en r’mettra une autre. Moi, j’vais mourir.

— Ah ! dit l’autre, convaincu par la logique de son interlocuteur.

Celui-ci reprend alors :

— Écoute, Dominique, t’as eu une mauvaise vie. Tu picolais et t’avais l’vin mauvais. T’as un sale casier judiciaire.

— J’peux pas dire que c’est pas vrai puisque c’est vrai, dit l’autre. Mais qu’est-ce que ça peut t’faire ?

— T’auras encore une mauvaise vie après la guerre, forcément, et pis t’auras des ennuis pour l’affaire du tonnelier.

L’autre, sauvage, devient agressif :

— La ferme ! Qu’est-ce que ça peut t’foutre ?

— Moi, j’ai pas plus d’famille que toi. Personne, que Louise — qui n’est pas d’ma famille vu qu’on n’est pas mariés. Moi, j’ai pas d’condamnations en dehors de quéqu’ bricoles militaires. Y a rien sur mon nom.

— Et pis après ? j’m’en fous.

— J’vas te dire : prends mon nom. Prends-le, j’te l’donne : pisqu’on n’a pas d’famille ni l’un ni l’autre.

— Ton nom ?