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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/328

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qu’au soir, on est libres, on est propriétaires de son temps. Les jambes font un pas doux et reposant ; les mains, vides, ballantes, se promènent, elles aussi, de long en large.

— Y a pas à dire, on profite de ce repos-là, remarque Paradis.

Cette ville qui s’ouvre devant nos pas est largement impressionnante. On y prend contact avec la vie, la vie populeuse, la vie de l’arrière, la vie normale. Si souvent nous avons cru que, de là-bas, nous n’arriverions jamais jusqu’ici !

On voit des messieurs, des dames, des couples encombrés d’enfants, des officiers anglais, des aviateurs reconnaissables de loin à leur élégance svelte et à leurs décorations, et des soldats qui promènent leurs habits grattés et leur peau frottée, l’unique bijou de leur plaque d’identité gravée scintillant au soleil sur leur capote, et se hasardent, avec soin, dans le beau décor nettoyé de tout cauchemar.

Nous poussons des exclamations comme font ceux qui viennent de bien loin.

— Tu parles d’une foule ! s’émerveille Tirette.

— Ah ! c’est une riche ville ! dit Blaire.

Une ouvrière passe et nous regarde.

Volpatte me donne un coup de coude, l’avale des yeux, le cou tendu, puis me montre plus loin deux autres femmes qui s’approchent ; et, l’œil luisant, il constate que la ville abonde en élément féminin :

— Mon vieux, il y a d’la fesse !

Tout à l’heure, Paradis a dû vaincre une certaine timidité pour s’approcher d’un groupe de gâteaux luxueusement logés, les toucher et en manger ; et on est obligé à chaque instant de stationner au milieu du trottoir pour attendre Blaire, attiré et retenu par les étalages où sont exposés des vareuses et des képis de fantaisie, des cravates de coutil bleu tendre, des brodequins rouges et brillants comme de l’acajou. Blaire a atteint le point cul-