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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/331

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— Y a pas à dire, on a du goût en France, fait Tirette.

— Il en a fallu un paquet de patience, pour faire ça, constate Blaire à la vue de ces fioritures versicolores.

— Dans ces établissements-là, ajoute Volpatte, c’est pas seulement le plaisir de boire !

Paradis nous apprend qu’il a l’habitude des cafés. Il a souvent, jadis, hanté, le dimanche, des cafés aussi beaux et même plus beaux que celui-là. Seulement, il y a longtemps et il avait, explique-t-il, perdu le goût qu’ils ont. Il désigne une petite fontaine en émail décoré de fleurs et pendue au mur.

— Y a d’quoi se laver les mains.

On se dirige, poliment, vers la fontaine. Volpatte fait signe à Paradis d’ouvrir le robinet :

— Fais marcher l’système baveux.

Puis, tous les cinq, nous gagnons la salle déjà garnie, dans son pourtour, de consommateurs, et nous nous installons à une table.

— Ce s’ra cinq vermouth-cassis, pas ?

— On s’rhabituerait bien, après tout, répète-t-on.

Des civils se déplacent et viennent dans notre entourage. On dit à demi-voix :

— Ils ont tous la croix de guerre, Adolphe, tu vois…

— Ce sont de vrais poilus !

Les camarades ont entendu. Ils ne conversent plus entre eux qu’avec distraction, l’oreille ailleurs, et, inconsciemment, se rengorgent.

L’instant d’après, l’homme et la femme qui émettaient ces commentaires, penchés vers nous, les coudes sur le marbre blanc, nous interrogent :

— La vie des tranchées, c’est dur, n’est-ce pas ?

— Euh… Oui… Ah ! dame, c’est pas rigolo toujours…

— Quelle admirable résistance physique et morale vous avez ! Vous arrivez à vous faire à cette vie, n’est-ce pas ?

— Mais oui, dame, on s’y fait, on s’y fait très bien…

— C’est tout de même une existence terrible et des