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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/345

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— C’est par là qu’il faut prendre, y a pas d’erreur, s’empresse de dire l’officier. Allons, en avant, les amis !

Chacun reprend en rechignant son fardeau… Mais un concert de malédictions et de jurons s’élève du groupe qui s’est engagé dans la petite sape.

— C’est des feuillées !

Une odeur nauséabonde se dégage du boyau, en décelant indiscutablement la nature. Ceux qui étaient entrés là s’arrêtent, se butent, refusent d’avancer. On se tasse les uns sur les autres, bloqués au seuil de ces latrines.

— J’aime mieux aller par la plaine ! crie un homme.

Mais des éclairs déchirent la nue au-dessus des talus, de tous les côtés, et le décor est si empoignant à voir, de ce trou garni d’ombre grouillante, avec ces gerbes de flammes retentissantes qui le surplombent dans les hauteurs du ciel, que personne ne répond à la parole du fou.

Bon gré, mal gré, il faut passer par là puisqu’on ne peut pas revenir en arrière.

— En avant dans la merde ! crie le premier de la bande.

On s’y lance, étreints par le dégoût. La puanteur y devient intolérable. On marche dans l’ordure dont on sent, parmi la bourbe terreuse, les fléchissements mous.

Des balles sifflent.

— Baissez la tête !

Comme le boyau est peu profond, on est obligé de se courber très bas pour n’être pas tué et d’aller, en se pliant, vers le fouillis d’excréments taché de papiers épars qu’on piétine.

Enfin, on retombe dans le boyau qu’on a quitté par erreur. On recommence à marcher. On marche toujours, on n’arrive jamais.

Le ruisseau qui coule à présent au fond de la tranchée lave la fétidité et l’infâme encrassement de nos pieds, tandis que nous errons, muets, la tête vide, dans l’abrutissement et le vertige de la fatigue.

Les grondements de l’artillerie se succèdent de plus en