Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/347

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— Allons, avance, nom de Dieu ! fait l’autre d’un ton bourru en pataugeant pesamment, les bras tirés par le brancard. On va pas rester à moisir ici.

Ils posent le brancard à terre sur le parapet, l’extrémité surplombant la tranchée. On voit, en passant par-dessous, les pieds de l’homme étendu ; et la pluie qui tombe sur le brancard en dégoutte noircie.

— C’est un blessé ? demande-t-on d’en bas.

— Non, un macchab, grogne cette fois le brancardier, et i’ pèse au moins quatre-vingts kilos. Des blessés, j’dis pas – d’puis deux jours et deux nuits, on n’en déporte pas – mais c’est malheureux d’s’esquinter à trimbaler des morts.

Et le brancardier, debout sur le bord du talus, jette un pied sur la base du talus qui fait face, par-dessus le trou, et, les jambes écartées à fond, péniblement équilibré, empoigne le brancard et se met en devoir de le traîner de l’autre côté ; et il appelle son camarade à son secours.


Un peu plus loin, on voit se pencher la forme d’un officier encapuchonné. Il a porté la main à sa figure et deux lignes dorées ont apparu à sa manche.

Il va nous indiquer le chemin, lui… Mais il parle : il demande si on n’a pas vu sa batterie, qu’il cherche.

On n’arrivera jamais.


On arrive pourtant.

On aboutit à un champ charbonneux, hérissé de quelques maigres piquets ; et sur lequel on grimpe et on se répand en silence. C’est là.

Pour se mettre en place, c’est une affaire. À quatre reprises différentes, il faut avancer, puis rétrograder pour que la compagnie s’échelonne régulièrement sur la longueur du boyau à creuser et que le même intervalle subsiste entre chaque équipe d’un piocheur et de deux pelleteurs.