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Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/40

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mijoter la tambouille ? Avec un violon qu’il avait trouvé dans la maison.

— C’est vache, tout de même, dit Mesnil André. J’sais bien qu’un violon, ça sert pas à grand-chose pour l’utilité, mais, tout d’même…

— D’autres fois, il s’est servi des queues de billard. Zizi a tout juste pu en grouper une pour se faire une canne. Le reste, au feu. Après, les fauteuils du salon, qui étaient en acajou, y ont passé en douce. I’ les zigouillait et les découpait pendant la nuit, parce qu’un gradé aurait pu trouver à redire.

— Il allait fort, dit Pépin… Nous, on s’est occupé avec un vieux meuble qui nous a fait quinze jours.

— Pourquoi aussi qu’on n’a rien de rien ? Faut faire la soupe, zéro bois, zéro charbon. Après la distribution, t’es là avec tes croches vides devant l’tas de bidoche, au milieu des copains qui s’fichent de toi en attendant qu’ils t’engueulent. Alors quoi ?

— C’est l’métier qui veut ça. C’est pas nous.

— Les officiers ne disaient trop rien quand on chapardait ?

— I’ s’en foutaient eux-mêmes plein la lampe, et comment ! Tu t’rappelles, Desmaisons, le coup du lieutenant Virvin défonçant la porte d’une cave d’un coup de hache ? Même qu’un poilu l’a vu et qu’il lui a donné la porte pour en faire du bois à brûler, à cette fin que l’copain i’ n’aille pas ébruéter la chose.

— Et c’pauv’ Saladin, l’officier de ravitaillement : on l’a rencontré entre chien et loup, sortant d’un sous-sol avec deux bouteilles de blanc dans chaque bras, le frère. On aurait dit une nourrice portant quatre lardons. Comme il a été repéré, il a été obligé de redescendre dans la mine aux bouteilles et d’en distribuer à tout le monde. Même que l’caporal Bertrand, qu’a des principes, n’as pas voulu en boire. Ah ! tu t’rappelles, saucisse à pattes !

— Où c’qu’il est maintenant le cuisinier qui trouvait toujours du feu ? demanda Cadilhac.