Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/64

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le fusil et l’équipement, on se sent las, ensommeillé, paralysé, dans la campagne triste, sous le ciel empoussiéré de brume. Bientôt Farfadet souffle. Il a parlé un peu, au début, puis la fatigue le fait taire, de force. Il est courageux mais frêle ; et, pendant toute sa vie antérieure, il n’a guère appris à se servir de ses jambes, dans le bureau de mairie où, depuis sa première communion, il griffonnait entre un poêle et de vieux cartonniers grisonnants.

Au moment où l’on sort du bois pour s’engager, en glissant et pataugeant, dans la région des boyaux, deux ombres fines se profilent en avant. Deux soldats qui arrivent : on voit la boule de leur paquetage et la ligne de leur fusil. La double forme balançante se précise.

— Ce sont eux !

L’une des ombres a une grosse tête blanche, emmaillotée.

— Il y en a un blessé ! C’est Volpatte !

Nous courons vers les revenants. Nos semelles font un bruit de décollage et d’enfoncement spongieux, et nos cartouches, secouées, sonnent dans nos cartouchières.

Ils s’arrêtent et nous attendent. Quand on est à portée :

— Il n’est qu’temps ! crie Volpatte.

— Tu es blessé, vieux ?

— Quoi ? dit-il.

Les épaisseurs de bandages qui lui encerclent la tête le rendent sourd. Il faut crier pour arriver jusqu’à son ouïe. On s’approche de lui, on crie. Alors, il répond :

— C’est rien d’ça… On r’vient du trou où le 5e Bataillon nous a mis jeudi.

— Vous êtes restés là, depuis ? lui hurle Farfadet, dont la voix aiguë et quasi féminine pénètre bien le capitonnage qui défend les oreilles de Volpatte…

— Eh ben oui, on est resté là, dit Fouillade, bagasse, nom de Dieu, macarelle ! Tu t’figures pas qu’on s’serait envolé avec des ailes, et encore moins qu’on s’rait parti sur ses pattes, sans ordre ?