Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/65

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Mais tous deux se laissent tomber assis par terre. La tête de Volpatte, enveloppée de toiles, avec un gros nœud au sommet, et qui présente la tache jaunâtre et noirâtre de la figure, semble un ballot de linge sale.

— On vous a oubliés, pauvres vieux !

— Un peu, s’écrie Fouillade, qu’on nous a oubliés ! Quatre jours et quatre nuits dans un trou d’obus sur qui les balles pleuvaient d’travers, et qui, en plus, sentait la merde.

— Tu parles, dit Volpatte. C’était pas un trou d’écoute ordinaire où qu’on va t’et vient en service régulier. C’était un trou d’obus qui r’ssemblait à un aut’ trou d’obus, ni plus ni moins. On nous avait dit jeudi : « Postez-vous là, et tirez sans arrêt », qu’on nous avait dit. Y a bien eu l’lendemain un type de liaison du 5e Bataillon qu’est v’nu montrer son naz : « Qu’est-ce que vous foutez là ! » « Ben, nous tirons ; on nous a dit d’tirer ; on tire, qu’on a dit. Pisqu’on nous l’a dit, y doit y avoir une raison d’ssous ; nous attendons qu’on nous dise de faire aut’chose que d’tirer. » Le type s’est pisté ; il avait l’air pas rassuré et s’en r’ssentait pas pour la marmitée. « C’est 22 », qu’i’ disait.

— On avait, dit Fouillade, à nous deuss, une boule de son et un seau d’vin que nous avait donné la 18e, en nous installant, et toute une caisse de cartouches, mon vieux. On a brûlé les cartouches et bu le fuchsia. On a conservé par prudence quelques cartouches et un quignon du Saint-Honoré ; mais on n’a pas conservé d’vin.

— On a z’eu tort, dit Volpatte, vu qu’i’ fait soif. Dis donc, les gars, vous n’auriez pas rien pour la gorge ?

— J’ai encore un petit quart d’vin, répondit Farfadet.

— Donne-z’y, dit Fouillade en désignant Volpatte. Vu que lui a perdu du sang. Moi, j’n’ai qu’soif.

Volpatte grelottait et, dans la gangue énorme de chiffons qui était posée sur ses épaules, ses petits yeux bridés s’embrasaient de fièvre.

— Ça fait bon, dit-il en buvant.