Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/68

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s’battre avec les autres et de s’démerder jusqu’au sang. J’aurai sur le drap mes deux mains qui n’ficheront rien, comme des choses de luxe — comme des joujoux, quoi ! — et, d’ssous l’drap, les pattes chauffées à blanc du haut en bas et les arpions élargis en bouquets de violettes…

Volpatte s’arrête, se fouille, tire de sa poche, en même temps que sa célèbre paire de ciseaux de Soissons, quelque chose qu’il me montre :

— Tiens, t’as vu ça ?

C’est la photographie de sa femme et de ses deux garçons. Il me l’a déjà montrée maintes fois. Je regarde, j’approuve.

— J’irai en convalo, dit Volpatte, et pendant qu’mes oreilles se recolleront, la femme et les p’tits me regarderont, et je les regarderai. Et pendant c’temps-là qu’elles r’pouss’ront comme des salades, mes amis, la guerre, elle s’avancera… Les Russes… On n’sait pas, quoi !…

Il se berçait au ronron de ses prévisions heureuses, pensait tout haut, déjà isolé parmi nous dans sa fête particulière.

— Bandit ! lui cria Fouillade. T’as trop d’chance, bou Diou d’bandit !

Comment ne pas l’envier ? Il allait s’en aller pour un, ou deux ou trois mois et pendant cette saison, au lieu d’être exposé et misérable, il serait métamorphosé en rentier !

— Au commencement, dit Farfadet, je trouvais drôle quand j’entendais désirer la « bonne blessure ». Mais tout de même, quoi qu’on puisse dire, tout de même, je comprends, maintenant qu’c’est la seule chose qu’un pauvre soldat puisse espérer qui ne soit pas fou.

On approchait du village. On contournait le bois.

À la corne du bois, soudain une forme de femme surgit à contre-jour. Le jeu des rayons la délimitait de lumière.