Aller au contenu

Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle se dressait debout à la lisière des arbres, qui formaient un fond de hachures violâtres — svelte, la tête tout allumée de blondeur ; et on voyait, dans sa face pâle, les taches nocturnes de deux yeux immenses. Cette créature éclatante nous dévisageait en tremblant sur ses jambes, puis brusquement elle s’enfonça dans le sous-bois comme une torche.

Cette apparition et cette disparition impressionnèrent Volpatte qui en perdit le fil de son discours :

— C’t’une biche, c’te femme-là !

— Non, dit Fouillade qui avait mal entendu. C’est Eudoxie qu’elle s’appelle. J’la connais pour l’avoir déjà vue. Une réfugiée. J’sais pas d’où qu’elle d’vient, mais elle est à Gamblin, dans une famille.

— Elle est maigre et belle, constata Volpatte. On y f’rait bien une p’tite douceur… C’est du fricot, du véritable poulet… Elle a quequ’chose comme z’yeux !

— Elle est drolle, dit Fouillade. À tient pas en place. Tu la vois ici, là, avec ses cheveux blonds en haut d’elle. Pis, partez ! Plus personne n’y est. Et tu sais, elle connaît pas l’danger. Des fois, a bagote presque en première ligne. On l’a vue naviguer sur la plaine en avant des tranchées. Elle est drolle.

— Tiens, la r’voilà, c’t’apparition ! À nous perd pas des yeux. Ce s’rait-i’ qu’on l’intéresse ?

La silhouette, dessinée en lignes de clarté, embellissait en cette minute l’autre bout de la lisière.

— Moi, les femmes, j’m’en fous, déclara Volpatte, repris totalement par l’idée de son évacuation.

— Y en a un, en tout cas, dans l’escouade, qui s’en r’ssent salement pour elle. Tiens : quand on parle du loup…

— On en voit la queue…

— Pas encore, mais presque… Tiens !

On vit pointer et déboucher d’un taillis, sur notre droite, le museau de Lamuse comme un sanglier roux…

Il suivait la femme à la piste. Il l’aperçut, tomba en