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Page:Barckhausen - Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de La Brède, 1904.djvu/74

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IV. De la Propriété et de la Possession[1].

Le partage des biens ayant été fait dans la Société, il a fallu qu’il fut aussi peu douteux qu’il étoit possible. Il a fallu que chacun pit conserver sans peine ce qu’il avoit, et qu’il y eût des signes visibles et connus qui le maintinssent. Aucun signe ne peut être plus visible que la possession. Cette possession pourroit être si longue qu’elle donneroit seule la propriété, parce qu’elle feroit taire et surmonteroit toutes les preuves contraires, et on appelleroit cela prescription de la propriété. La longueur du temis qu’il faut pour acquérir cette propriété forme des dispositions particulières dans les loix civiles des divers états, et je croirois bien que cette longueur devroit être relative : d’un côté, à la grandeur de l’État[2], qui fait la grandeur des fortunes et l’embarras des affaires, et qui met les citoyens à une grande. distance de leurs biens ; et, de l’autre, aux occasions et aux absences fréquentes. Il est clair que celui qui a toujours une petite fortune devant ses yeux y prend plus garde, et qu’il a besoin de moins de tems pour empêcher qu’un autre ne le dépouille de sa propriété par la possession.

La possession maintient donc dans la propriété, et elle peut dépouiller de la propriété. Elle est donc d’une grande importance, et il faut qu’elle soit le moins équivoque qu’il est possible ; et, comme il n’y a point de signe moins équivoque de la possession que la possession même, il faut qu’elle se prouve par elle-même. C’est ce qui a fait que la Raison a établi chez divers peuples un tems très long pour acquérir la propriété et un tems plus court pour acquérir la possession. Parmi nous, celui qui est en possession pendant trente ans d’une chose en acquiert la propriété ; celui

  1. Ce titre est précédé d’indications dont la première seule n’est pas biffée : « Chapitre 26. [Chapitre premier, 6, 8, 7, 21, 11, 10, 27.] » — A la suite, on lit deux autres titres biffés, dont le premier est écrit de la main de Montesquieu : « Comment la plupart des Loix civiles générales sont tirées d’une Raison nécessaire. — Du Rapport que les Loix qui concernent la Propriété des Choses ont avec les Loix qui concernent leur Possession, et de leur Difference. »
  2. En marge : « Chez les Romains, il falloit plus de tems pour prescrire dans les provinces qu’en Italie. — (Voir cela.) »