Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/105

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aux Allemands et aux Espagnols, le tout si adroitement recollé et redoré, que les badauds bayent aux corneilles devant l’étalage, sans s’apercevoir que les étiquettes n’ont aucun sens et que personne n’a jamais su et ne saura jamais ce que peut bien être l’art social ou l’art humanitaire. Musset refuse aux romantiques jusqu’à l’invention du vers brisé, et il ajoute l’ingrat : « Le vers brisé, d’ailleurs, est horrible ; il faut dire plus, il est impie ; c’est un sacrilège envers les dieux, une offense à la Muse ». Il leur laisse en tout et pour tout, en fait de « découverte » et de « trouvaille », la gloire de dire stupéfié au lieu de stupéfait, ou blandices au lieu de flatteries ; encore est-ce de très mauvaise grâce, et visiblement à regret ; si Musset avait mieux lu Chateaubriand, où le mot se trouve déjà, il se serait empressé de leur retirer aussi blandices.

Victor Hugo et ses amis furent vengés de Dupuis et Cotonet par Musset lui-même. Il avait pu se dépêtrer des formules de la jeune école ; il n’en avait pas moins le romantisme dans les moelles. L’âme des temps nouveaux était en lui, et il ne dépendait pas de sa volonté de la chasser, car le mouvement de 1830 avait apporté autre chose, de bien plus important et plus tenace, qu’une forme littéraire. Ainsi que l’a dit excellemment M. Brunetière[1], ce qu’il y avait de plus original, de propre et de particulier dans le romantisme, c’était une « combinaison de la liberté ou

  1. Les Epoques du théâtre français.