Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/107

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ur.

La Muse le presse. A défaut d’autre thème, qu’il chante sa douleur :

    Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
    Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
    Lorsque le pélican. . . . . . . . . . . . . . . .

La suite est dans toutes les mémoires. La Muse le convie à servir son coeur au festin divin, comme le pélican partage ses entrailles à ses fils, mais il lui répond par un cri d’horreur :

    O Muse ! spectre insatiable,
    Ne m’en demande pas si long.
    L’homme n’écrit rien sur le sable
    À l’heure où passe l’aquilon.
    J’ai vu le temps où ma jeunesse
    Sur mes lèvres était sans cesse
    Prête à chanter comme un oiseau ;
    Mais j’ai souffert un dur martyre,
    Et le moins que j’en pourrais dire,
    Si je l’essayais sur ma lyre,
    La briserait comme un roseau.

On a vu au chapitre précédent les causes profondes de son abattement. Il avait fait des efforts stériles pour se purifier de ses anciennes souillures au feu d’une passion qui était elle-même une violation de la règle morale, et à ses chagrins d’amour s’ajoutait le sentiment accablant d’avoir commis une erreur capitale, au jour solennel où l’homme choisit l’idéal qui sera sa raison d’exister. A l’exemple des héros romantiques, il avait demandé à la passion le point d’appui de sa vie morale, et l’appui s’était brisé, le laissant meurtri et épuisé.

La Nuit de mai parut le 15 juin dans la Revue des