Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/124

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Une sensibilité redoutable lui fournissait l’étincelle sacrée. Il lui devait une sincérité qu’il n’aurait pas pu contenir, s’il l’avait voulu, et une éloquence frémissante qui savait plaindre d’autres souffrances que les siennes ; souvenez-vous de l'Espoir en Dieu :

    Ta pitié dut être profonde
    Lorsque avec ses biens et ses maux
    Cet admirable et pauvre monde
    Sortit en pleurant du chaos !

Mais il lui a payé une terrible rançon. Parce qu’il sentait avec une violence douloureuse, il a tout rapporté à la sensation, et donné le plaisir pour but à la vie. Chaque fois qu’une âme noble, pure de vulgarité et de bassesse, est tombée dans cette erreur, elle est arrivée à une incurable mélancolie, si ce n’est à une désespérance complète. Musset n’a pas échappé à cette fatalité. Avec un esprit très gai, il avait l’âme saignante et désolée ; association moins rare qu’on ne pense. Ses poésies divinisent la sensation, mais il avait senti dès le premier jour la « saveur amère » du plaisir :

   Surgit amari aliquid medio de fonte leporum.

C’est pourquoi la lecture de son œuvre poétique laisse triste. La saveur amère finit par dominer toutes les autres.