Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/137

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cour aux grisettes, ce monsieur-là avec ses yeux bleus ?[1] »

Il est permis de croire qu’il avait aussi, à cet âge-là, le coeur timide et passionné de son héros, qu’il était comme lui—plus ou moins—un ange de candeur et un petit monstre d’effronterie ; et s’il s’exhale du rôle un délicieux parfum de poésie, cela encore ne va point contre une certaine ressemblance. Quoi qu’il en soit, le personnage est bien joli. C’est un Chérubin attendri et touché de mélancolie. Combien il est différent du petit polisson de Beaumarchais, qui court après toutes les jupes avec des airs délurés ! Quel contraste avec nos Chérubins de la fin du XIXe siècle, à l’âme sèche et prudente ! La déclaration de Fortunio, troisième clerc de notaire, à sa jolie patronne n’a pas pu vieillir de forme, étant irréprochablement simple. Par le fond, elle appartient à une race disparue d’adolescents au cœur jeune, qui ne craignaient pas de laisser trembler une larme au bord de leur paupière. Nos rhétoriciens se moqueraient de son éloquence naïve ; ils sont mieux instruits des arguments qui touchent une petite bourgeoise scélérate.

JACQUELINE.

« Vous nous avez chanté, à table, une jolie chanson, tout à l’heure. Pour qui est-ce donc qu’elle était faite ? Me la voulez-vous donner par écrit ?

FORTUNIO.

  1. Toutes nos citations du Théâtre sont conformes à la 1re édition (1840), antérieure aux remaniements faits en vue de la scène.