Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/138

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« Elle est faite pour vous, madame ; je meurs d’amour, et ma vie est à vous. (Il se jette à genoux.)

JACQUELINE.

« Vraiment ! Je croyais que votre refrain défendait de dire qui on aime.

FORTUNIO.

« Ah ! Jacqueline, ayez pitié de moi ; ce n’est pas d’hier que je souffre. Depuis deux ans, à travers ces charmilles, je suis la trace de vos pas. Depuis deux ans, sans que jamais peut-être vous ayez su mon existence, vous n’êtes pas sortie ou rentrée, votre ombre tremblante et légère n’a pas paru derrière vos rideaux, vous n’avez pas ouvert votre fenêtre, vous n’avez pas remué dans l’air, que je ne fusse là, que je ne vous aie vue ; je ne pouvais approcher de vous, mais votre beauté, grâce à Dieu, m’appartenait comme le soleil à tous ; je la cherchais, je la respirais, je vivais de l’ombre de votre vie. Vous passiez le matin sur le seuil de la porte, la nuit j’y revenais pleurer. Quelques mots, tombés de vos lèvres, avaient pu venir jusqu’à moi, je les répétais tout un jour. Vous cultiviez des fleurs, ma chambre en était pleine. Vous chantiez le soir au piano, je savais par coeur vos romances. Tout ce que vous aimiez, je l’aimais ; je m’enivrais de ce qui avait passé sur votre bouche et dans votre cœur. Hélas ! je vois que vous souriez. Dieu sait que ma douleur est vraie, et que je vous aime à en