Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/154

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tend une main amie, ce mot de cloître, que Cécile ne comprendrait pas : « Je n’aime pas les attouchements ». Pauvre Camille ! Elle vient d’avoir dix-huit ans, et n’a sans doute jamais lu aucun mauvais livre. Cependant il n’y a plus ni confiance, ni joie de vivre dans son jeune coeur, flétri par les dangereuses confidences des naufragées de l’existence qui demandent aux couvents un abri contre le monde et contre elles-mêmes. Savent-elles, lui demande Perdican, épouvanté de ce désenchantement précoce, « savent-elles que c’est un crime qu’elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? Ah ! comme elles t’ont fait la leçon ! » En écoutant ces récits amers, Camille a vu l’humanité à travers un mauvais rêve, et elle a prié Dieu de n’avoir plus rien de la femme.

Son cauchemar s’est dissipé en quittant l’ombre du cloître. « Tu voulais partir sans me serrer la main, lui dit son cousin ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde toute en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance, et le masque de plâtre que les nonnes t’ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton cœur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t’asseoir sur l’herbe où nous voilà. » Camille aime, et ses yeux éblouis se sont rouverts à la vérité. Elle croit maintenant à l’amour, à la vie, au bonheur, à Perdican. Elle accepte avec joie de souffrir. Son orgueil s’est fondu, et elle était redevenue une faible femme, quand leur