Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/161

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l’idylle qui leur succède : « Comme je me promenais un soir dans une allée de tilleuls, à l’entrée du village, je vis sortir une jeune femme d’une maison écartée. Elle était mise très simplement et voilée, en sorte que je ne pouvais voir son visage ; cependant sa taille et sa démarche me parurent si charmantes, que je la suivis des yeux quelque temps. Comme elle traversait une prairie voisine, un chevreau blanc, qui paissait en liberté dans un champ, accourut à elle ; elle lui fit quelques caresses, et regarda de côté et d’autre, comme pour chercher une herbe favorite à lui donner. Je vis près de moi un mûrier sauvage ; j’en cueillis une branche et m’avançai en la tenant à la main. Le chevreau vint à moi à pas comptés, d’un air craintif ; puis il s’arrêta, n’osant pas prendre la branche dans ma main. Sa maîtresse lui fit signe comme pour l’enhardir, mais il la regardait d’un air inquiet ; elle fit quelques pas jusqu’à moi, posa la main sur la branche, que le chevreau prit aussitôt. Je la saluai, et elle continua sa route. »

C’est la première rencontre avec Brigitte. Non moins charmant est le tableau du modeste intérieur de la pâle jeune femme aux grands yeux noirs. Le récit s’élargit et s’élève avec la rentrée triomphale de l’amour dans ces deux cœurs qui s’étaient cru usés, et la scène de l’aveu est d’une douceur grave. Un soir, ils sont sur le balcon de Brigitte, contemplant les splendeurs de la nuit : « Elle était appuyée sur son coude, les yeux au ciel ; je m’étais penché à côté d’elle, et je la regardais rêver. Bientôt je levai les