Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/162

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yeux moi-même ; une volupté mélancolique nous enivrait tous deux. Nous respirions ensemble les tièdes bouffées qui sortaient des charmilles ; nous suivions au loin dans l’espace les dernières lueurs d’une blancheur pâle que la lune entraînait avec elle en descendant derrière les masses noires des marronniers. Je me souvins d’un certain jour que j’avais regardé avec désespoir le vide immense de ce beau ciel ; ce souvenir me fit tressaillir ; tout était si plein maintenant ! Je sentis qu’un hymne de grâce s’élevait dans mon cœur, et que notre amour montait à Dieu. J’entourai de mon bras la taille de ma chère maîtresse ; elle tourna doucement la tête : ses yeux étaient noyés de larmes. »

Les promenades de nuit dans la forêt de Fontainebleau sont aussi bien belles. George Sand et Musset les avaient faites ensemble dans l’automne de 1833. Leurs pieds avaient suivi les mêmes sentiers qu’Octave et Brigitte, leurs mains s’étaient accrochées aux mêmes genêts en grimpant sur les roches. Ils avaient échangé à voix basse les mêmes confidences. Les habits d’homme de Brigitte, sa blouse de cotonnade bleue, qu’on a reprochés à Musset comme une faute de goût, c’était le costume de voyage de son amie, celui de la première Lettre d’un voyageur. J’ai dit ailleurs[1] l’émotion de George Sand en

  1. Voy. p. 60. C’est précisément à cause de l’exactitude du fond du récit, que Paul de Musset s’est attaché à lui enlever toute valeur autobiographique. Il ne pouvait lui convenir que son frère prît chevaleresquement tous les torts sur lui.