Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/169

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Ils sont moins mes amis que le verre de vin
    Qui pendant un quart d’heure étourdit ma misère ;
    Mais vous, qui connaissez mon âme tout entière,
    A qui je n’ai jamais rien tu, même un chagrin,

    Est-ce à vous de me faire une telle injustice,
    Et m’avez-vous si vite à ce point oublié ?
    Ah ! ce qui n’est qu’un mal, n’en faites pas un vice.

    Dans ce verre où je cherche à noyer mon supplice,
    Laissez plutôt tomber quelques pleurs de pitié
    Qu’à d’anciens souvenirs devrait votre amitié.

Détournons la tête et passons,

   Le cœur plein de pitié pour des maux inconnus,

et plaignant la « misère », quelle qu’elle soit, capable de pousser le génie à un pareil suicide.

Musset n’attendait du public aucune indulgence. « Le monde, disait-il, n’a de pitié que pour les maux dont on meurt. » Il s’abandonnait devant sa famille à une tristesse profonde, qui augmentait après chaque effort pour s’étourdir. Un soir, au retour d’une partie de plaisir, il écrivit : « Parmi les coureurs de tavernes, il y en a de joyeux et de vermeils ; il y en a de pâles et de silencieux. Peut-on voir un spectacle plus pénible que celui d’un libertin qui souffre ? J’en ai vu dont le rire faisait frissonner. Celui qui veut dompter son âme avec les armes des sens peut s’enivrer à loisir ; il peut se faire un extérieur impassible ; il peut enfermer sa pensée dans une volonté tenace ; sa pensée mugira toujours dans le taureau d’airain. » Sa pensée faisait son devoir et « mugissait ». Sa volonté malade manquait au sien