Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/168

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J’ai perdu ma force et ma vie,
    Et mes amis et ma gaieté ;
    J’ai perdu jusqu’à la fierté
    Qui faisait croire à mon génie.

    Quand j’ai connu la Vérité,
    J’ai cru que c’était une amie ;
    Quand je l’ai comprise et sentie,
    J’en étais déjà dégoûté.

    Et pourtant elle est éternelle,
    Et ceux qui se sont passés d’elle
    Ici-bas ont tout ignoré.

    Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
    Le seul bien qui me reste au monde
    Est d’avoir quelquefois pleuré.

Les causes de cette mort anticipée sont affreusement tristes. Qu’on veuille bien se rappeler la fragilité de sa machine et les révoltes indomptables de ses nerfs, et l’on entreverra les fatalités physiques qui lui ont fait perdre la maîtrise et le gouvernement de lui-même. Un soir—c’était le 13 août 1844,—la marraine lui avait parlé très sérieusement, dans l’espoir de l’amener à se ressaisir lui-même. Alors il leva pour elle le voile qui cachait ses maux, et elle en pleura : « Je ne puis vous répéter ce qu’il m’a dit, disait-elle ensuite à Paul. Cela est au-dessus de mes forces. Sachez seulement qu’il m’a battue sur tous les points. » Le lendemain, Musset lui envoya le sonnet suivant, qui a été imprimé dans la Biographie :

    Qu’un sot me calomnie, il ne m’importe guère.
    Que sous le faux semblant d’un intérêt vulgaire,
    Ceux même dont hier j’aurai serré la main
    Me proclament, ce soir, ivrogne et libertin,