Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/176

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la médiocre Lucrèce de Ponsard montrait combien on était las du romantisme. Musset devait nécessairement profiter de cette révolution du goût. Pour d’autres causes, qui forment ici la part du mystère, ses vers commençaient à trouver le chemin de tous les cœurs ; beaucoup de personnes le découvraient. Cela alla si vite que, trois ans après le succès de Lucrèce et la chute des Burgraves, on rencontre déjà des protestations contre l’excès de sa faveur auprès de la jeunesse. Dans les premiers mois de 1846, Sainte-Beuve copie dans son Journal une lettre où Brizeux lui dit : « Ce qui pourrait étonner, c’est cet engouement exclusif pour Musset…. J’aime peu comme art la solennité des châteaux de Louis XIV, mais pas davantage l’entresol de la rue Saint-Georges ; il y a entre les deux Florence et la nature. » Sainte-Beuve accompagne ces lignes d’une note qui les aggrave. L’essor pris soudain par Musset lui paraît ridicule autant que fâcheux, et il en parle avec aigreur. L’explosion de popularité déterminée par le succès du Caprice acheva de le mettre hors des gonds. On a déjà vu son réquisitoire contre Il ne faut jurer de rien. Vers la fin de 1849, revenant sur la vogue du Caprice, il écrit : « On outre tout. Il y a dans le succès de Musset du vrai et de l’engouement. Ce n’est pas seulement le distingué et le délicat qu’on aime en lui. Cette jeunesse dissolue adore chez Musset l’expression de ses propres vices ; dans ses vers elle ne trouve rien de plus beau que certaines poussées de verve où il