Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/188

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défauts en tous genres. Innombrables furent les chansons, les madrigaux fringants, les petits vers cavaliers et impertinents, les piécettes licencieuses, plus proches de Crébillon fils que de Musset, les Ninon et les Ninette de la rue Bréda, les marquises de contrebande et les Andalouses des Batignolles, dont Alfred de Musset serait aujourd’hui le grand-père responsable devant la postérité, s’il en avait survécu quelque chose. Tout cela est oublié, et c’est un bonheur, car ce n’était pas une famille enviable. Le Musset des bons jours, des grands jours, celui des Nuits, pouvait apporter l’inspiration ; il pouvait allumer l’étincelle couvant dans les cœurs ; il ne pouvait pas avoir de disciples, car il n’avait pas de procédés, pas de manière, il était le plus personnel des poètes. On ne prend pas à un homme son cœur et ses nerfs, ni sa vision poétique, ni son souffle lyrique ; en un mot, on ne lui prend pas son génie, et il n’y avait presque rien à prendre à Musset que son génie.

Les mêmes causes qui l’avaient fait monter si haut dans la faveur des foules détournent maintenant de lui la nouvelle école, celle qui grandit sur les ruines du naturalisme. Nos jeunes gens n’aiment plus le naturel, ni dans la langue, ni dans la pensée, ni dans les sentiments, ni même dans les choses. Le goût du singulier les a ressaisis, et celui des déformations de la réalité. Qu’ils se nomment eux-mêmes décadents ou symbolistes, c’est le romantisme qui renaît dans leurs ouvrages, déguisé et débaptisé, reconnaissable toutefois sous le masque et malgré