Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/189

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les changements d’étiquettes. Il est devenu bien plus mystique. Il a perdu cette superbe qui rappelait Corneille et les héroïnes de la Fronde, pour prendre au moral un je ne sais quoi d’affaissé et d’étriqué. Il est servi par un art compliqué et savant, au prix duquel celui du Cénacle n’était que jeu d’enfant, et qui semble un peu byzantin, comparé au libre et puissant développement de la phrase romantique. Il a le sang moins riche, le tempérament plus affiné, mais c’est lui, c’est bien lui. Quel intérêt pouvait offrir le poète du Souvenir, avec ses chagrins si simples, à la portée de tous, et son français classique, à nos curieux de sensations rares, aux inventeurs de l’écriture décadente ? Aussi l’ont-ils dédaigné.

La violence de ses sentiments lui a aussi beaucoup nui auprès des nouvelles générations. Celles-ci contemplent avec étonnement les emportements de passion et les déploiements de sensibilité des gens de 1830. Elles sont ou trop pratiques ou trop intellectuelles pour se dévorer le cœur ; les maux que Musset a tour à tour maudits et bénis avec une égale véhémence ne leur inspirent que la pitié ironique qu’on accorde aux malheurs ridicules. Quel attrait peut avoir une poésie toute de sentiment et de passion, aux yeux d’une jeunesse pour qui le sentiment est une faiblesse, l’amour une infirmité ? Aucun assurément. Et elle a délaissé Musset, qu’elle trouvait aussi démodé par le fond que par la forme.

Il attendra. Son grand tort, c’est d’être encore trop près de nous. Les idées et les formes littéraires de