Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/29

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et qu’il n’est pas bien sûr que Moïse ait eu toutes les pensées que lui prête Alfred de Vigny.

Il passait ensuite, dans sa lettre, à lui-même et à son avenir : « Je m’ennuie et je suis triste, je ne te crois pas plus gai que moi, mais je n’ai pas même le courage de travailler. Eh ! que ferais-je ? Retournerai-je quelque position bien vieille ? Ferai-je de l’originalité en dépit de moi et de mes vers ? Depuis que je lis les journaux (ce qui est ici ma seule récréation) je ne sais pas pourquoi tout cela me paraît d’un misérable achevé ! Je ne sais pas si c’est l’ergoterie des commentateurs, la stupide manie des arrangeurs qui me dégoûte, mais je ne voudrais pas écrire, ou je voudrais être Shakespeare ou Schiller. Je ne fais donc rien, et je sens que le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme qui a les passions vives, c’est de n’en avoir point. Je ne suis point amoureux, je ne fais rien, rien ne me rattache ici…. »

« Je donnerais vingt-cinq francs pour avoir une pièce de Shakespeare ici en anglais. Ces journaux sont si insipides,—ces critiques sont si plats ! Faites des systèmes, mes amis, établissez des règles ; vous ne travaillez que sur les froids monuments du passé. Qu’un homme de génie se présente, et il renversera vos échafaudages ; il se rira de vos poétiques.—Je me sens, par moments, une envie de prendre la plume et de salir une ou deux feuilles de papier ; mais la première difficulté me rebute, et un souverain dégoût me fait étendre les bras et fermer