Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les yeux. Comment me laisse-t-on ici si longtemps ! J’ai besoin de voir une femme ; j’ai besoin d’un joli pied et d’une taille fine ; j’ai besoin d’aimer.—J’aimerais ma cousine, qui est vieille et laide, si elle n’était pas pédante et économe. » Suivent deux grandes pages de doléances sur son ennui et sur les études de droit auxquelles le destine sa famille : « Non, mon ami, s’écrie-t-il en terminant, je ne peux pas le croire ; j’ai cet orgueil : ni toi ni moi ne sommes destinés à ne faire que des avocats estimables ou des avoués intelligents. J’ai au fond de l’âme un instinct qui me crie le contraire. Je crois encore au bonheur, quoique je sois bien malheureux dans ce moment-ci. »

On aura remarqué dans ces effusions de collégien qu’il est travaillé du besoin d’écrire ; le papier blanc l’attire et l’effraie, ce qui va très bien ensemble. C’est l’éclosion de la vocation, surprise à ses débuts mêmes, car Alfred de Musset n’a pas été de ces petits prodiges à la façon de Goethe et de Victor Hugo, qui réclamaient leur nourrice en vers. A dix-sept ans, son bagage poétique était tout à fait insignifiant.

Quant à l’ennui douloureux qui le ronge, à son découragement en face de l’avenir, alors que tout s’ouvre devant lui, il n’y a rien, là dedans, qui lui soit particulier. C’est l’état d’esprit signalé bien des fois, par les écrivains les plus divers, chez la génération qui arrivait à l’âge d’homme sous la Restauration, et que Stendhal, Musset lui-même, ont attribué, à tort ou à raison, à l’ébranle